Tilou

La grande scène

Je ne sais pas si, comme moi, vous aimez observer les gens. Je ne le fais pas spécialement pour admirer leurs tenues (quoique…) ou quelque partie bien «hypnotisante» de leurs corps (encore que…). Mais plutôt leurs attitudes, leurs comportements. Ah, c’est mon passe-temps favori. Et pour cause, je ne m’en ennuie pas. Alors, là, pas du tout !À force d’observation, j’en suis à la conclusion que la majorité des gens que nous rencontrons, par leur volonté de se faire une image, jouent la comédie.

Ceux qui font rire

Il y a d’abord ceux qui font rire: La vedette de musique, l’homme politique, le responsable d’une grande entreprise commerciale… lorsqu’ils s’expriment à la télévision.

La première parlant d’elle-même à la troisième personne, hachant ses phrases de «you know!», de «yessay» et convaincue qu’il faille impérativement simuler un rire après chaque quatre mots. Le deuxième s’efforçant de prendre un ton solennel et s’affichant comme le plus préoccupé du sort de SON peuple. Le troisième quant à lui, l’air le plus innocent du monde et ne convainquant que lui-même de son désir véritable et de sa vocation noble de servir le pays en fournissant le meilleur service possible.

Oui, tous ceux-là me font rire parce que je devine bien qu’ils ne sont pas vraiment tels qu’ils se montrent. Ils tiennent un rôle et le font si mal qu’ils sont les seuls à y croire.

Ceux qui font pitié

Il y a ensuite les groupes de gens qui font pitié: Ces dames invitées à un mariage, ces frères protestants, ces «tòg*» ou «bredjenn*», etc.

À l’église, on voit ces dames-Jumbo se faisant violence avec des robes de barbie et tenant à peine en équilibre sur des talons-aiguilles.

Les frères protestants se sentent l’obligation de s’exprimer comme des attardés, ils donnent l’impression d’avoir peur de mordre les mots.

Quant à ceux du troisième groupe, c’est leur démarche qui m’intrigue. Que dis-je ? Ils ne marchent même pas, ils sautillent, clopinent, comme le ferait un cheval privé d’une jambe, pour bien paraître aux yeux du reste du clan.

Ces gens là me font pitié parce qu’ils se privent du naturel et de leur aise pour ne pas passer inaperçues.

Ceux qui font pleurer

Enfin, il y a ceux qui me font pleurer : Les petites gens au service de celles de haut rang, la réceptionniste d’une boite commerciale, l’épouse malheureuse.

Vous n’observez jamais le visage des gens de services quand ils croisent leurs employeurs ? Un sourire bête déforme leurs visages, témoignant de leur manque d’assurance, de leur crainte, de leur complexe d’infériorité. Ils sont comme renfermées sur eux-mêmes, regrettant vraisemblablement de ne pas disposer d’une carapace comme la tortue.

Dans la salle d’attente de l’entreprise, celle qui vous reçoit fera tout son possible pour donner l’impression qu’elle est en joie et contente de vous voir, même si la veille, elle comprit que l’amour de sa vie ne l’aimait plus. Elle fera tout pour ne rien laisser paraître parce qu’apparemment, on n’apporte pas ses problèmes au bureau.

La femme déçue de son union ne prendra plus plaisir à l’acte sexuel, mais continuera de simuler. Elle se fera peut-être même plus bruyante qu’avant, finira par se résigner, se convainquant que cela devait forcément se passer ainsi. Son comportement pourrait duper si de son visage ne s’effaçaient pas la jovialité et l’envie de vivre de ses vingt ans.

Toutes ces personnes jouent donc la comédie. Consciemment ou pas, de gré ou de force, elles ne sont jamais tout à fait ce qu’elles laissent paraître.

Mais je les comprends. Dans certaines d’ entre elles, Je me reconnais…un peu.

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* jeunes portant leurs pantalons sous les fesses et s’habillant le plus souvent à la mode des rappeurs américains.


Abracadabra !

À l’école, dans les cours d’histoire, j’avais appris que l’indépendance d’Ayiti avait été possible grâce à un front commun, contre les colons, des noirs et des mulâtres.

Le bicolore national serait d’ailleurs le premier symbole de cette union. Jean-Jacques Dessalines, le noir le plus haut gradé de l’armée indigène, ainsi qu’Alexandre Pétion, le plus haut gradé des mulâtres ayant fait défection à l’armée coloniale, décidèrent d’enlever le blanc du drapeau français. Ils donnèrent naissance au premier drapeau ayitien dont les couleurs Bleu et rouge représentent l’union des deux groupes.

Ainsi, Ayiti serait donc une nation constituée de noirs et de mulâtres ???

Pourtant, quand on est dans le pays cela n’est pas une évidence. Des noirs en Ayiti, oui, on en trouve. On en trouve beaucoup. Mais des mulâtres, faut vraiment en chercher.

Il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver un mulâtre dans les activités quotidiennes du pays: Les longues files devant les banques commerciales ou les grands magasins de téléphones, les passagers des transports en commun, les athlètes des douze travaux dans les bureaux de l’État, les employés des ministères, les membres de la Police nationale, les balayeurs de rues, les epav des quartiers… sont tous constitués de noirs.

Dans les activités sociales, pas mieux. Les abonnés des bals, les adeptes du Zokiki*, les fans du championnat national de football, les apprentis stars des concours de talents, les postulantes aux concours de Miss,… encore que des noirs.

La vie politique, pareil. Les chefs de parti, les membres de parti, les membres du CEP, les activistes, les manifestudiants**…encore des noirs.

Ce serait à se demander s’il existe encore des descendants de Pétion.

première page d’une recherche de « haïtien » sur google image

Mais ne vous y fiez pas. Les mulâtres existent encore bel et bien. Ils sont même très nombreux et très présents dans tous les secteurs du pays. Je croyais moi-même qu’il n’y en avait plus, jusqu’ à ce que je comprenne l’affaire : Si on ne les voit pas, c’est parce qu’ils ont des pouvoirs magiques. Mais c’est très sérieux ! Ils peuvent apparaître et disparaître à volonté.

Le matin attardez-vous un moment sur l’une des grandes routes menant de Pétion-Ville à Port-au-Prince. 6 heures pile : Toutes les voitures privées en sont remplis. Pas moyen d’en louper un. Et Puis 8 heures pile : Plus aucun mulâtre en vue. Pas moyen d’en trouver un. Pour les revoir en si grand nombre, il faut attendre 16 heures pile.

Ah…je vous vois venir : «ça ne prouve rien»…Incrédules que vous êtes. Ok, alors un autre exemple :

Je vous disais que les lignes devant les banques commerciales ne comptaient que des noirs. Comment  expliquez-vous alors que les mulâtres aient aussi des comptes en banque ? Et pour les papiers d’identité ou le permis de conduire ? Ils en ont hein ! Mais quand est-ce qu’on les voit faire la queue ? De la Magie, je vous dis. !

Et les concours qu’ils gagnent sans y participer ? Tenez ! On organise tous les concours de Miss possibles et imaginables en Ayiti (et Dieu seul sait comme nous avons de l’imagination). On n’a jamais vu y participer un mulâtre. Et bien, quand on annonça la Miss Ayiti postulante au Miss Monde, on découvrit: Abracadabra, une mulâtresse !

Et les pauvres hougan qui se croient forts !

C’est quand même dommage qu’avec tous ses pouvoirs les mulâtres aient encore peur de se mêler au reste des habitants et préfèrent se terrer dans leurs forteresses ! Tout le monde gagnerait à comprendre que si la vie sociale du pays ne peut progresser avec seulement les mulâtres, il ne le peut pas non plus sans eux !

Certes, il faudrait plus que quelques tours de passe-passe, mais le progrès tant désiré ne relèverait plus d’un miracle.

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*Zokiki
Soirée nocturne très à la mode depuis 3 ou 4 ans,
où les jeunes et les enfants se livrent à toute sorte de débauches.


**manifestudiants
Étudiants faisant toujours l’actualité pour leurs participations
à toute manifestation opposée au gouvernement