Tilou

Maux Croisés

Nous souffrons de tant de maux en Ayiti que certains pour lesquels il y aurait scandale dans d’autres pays nous laissent indifférents. Ils semblent même passer inaperçus. Ainsi, si le grave problème de moralité ne semble pas trop inquiéter grand monde, cela peut se comprendre par la préoccupation de la majorité à se trouver d’abord de quoi manger et se vêtir.

Il est vrai que quelques personnes accordent encore une certaine valeur à la moralité. L’actuel président, par exemple, a eu à répondre à bien des critiques à cause de sa supposée (et avérée ?) moralité douteuse. Mais ces gens-là ne sont qu’une minorité…négligeable. La preuve, il a été élu avec 67% des votes 🙂

Pourtant, cet état de choses est bien l’un des grands maux dont nous souffrons. Trop de gens, dans notre société, ne sont pas à leur place. Il n’est pas nécessaire de m’éterniser sur le cas du Président. Il n’est d’ailleurs pas  le seul.

Au parlement, vraisemblablement, on trouverait plusieurs qui devraient plutôt travailler dans les travaux d’intérêt général. Et cela ne semble pas déranger grand monde. Même que les concernés ne s’en cachent pas. Ils parlent très fort et utilisent des mots qui prêtent à confusion.

De temps à autres un parlementaire avance que l’ancien président, celui-là que l’on croyait muet, fut le plus intelligent de tous. Je me demande alors, s’il voulait bien dire «intelligent» ou « en-tè-li-jaaaaaaan ». Vous savez ? Le « intelligent » que l’on prononce en détachant les syllabes et en faisant trainer la dernière !!

Il y a aussi le mot « poooolitique ». Normalement ça qualifie ce qui est relatif à la cité, la nation. Dans la bouche de certains parlementaires ça veut dire… « N’importe quoi ». Et surtout lorsqu’ils le font précédé du mot « éminemment ». Ainsi, on obtient des séances « poooolitiques », des votes « poooolitiques »…parce que le parlement, grâce à eux est devenu un espace éminemment « poooolitique ».

Je vous fais grâce des « bim » qui conduisent à la « bim » finale*, aux kilomètres d’électricité et aux vastes plantations de maïs moulu* (ma préférée).

Mais je me demande s’ils sont vraiment aussi nuls ou s’ils ne font exprès rien que pour nous passer en dérision. Sont-ils vraiment aussi méchants et cyniques ou ne sont-ce que des incompétents.

Dans l’un ou l’autre cas, ils ne sont pas à leur place. Il serait bénéfique à tout le monde que ce plus grand nombre se consacre à autre chose (comme des mots-croisés) et laisse la place aux plus capables. Ça nous soulagerait de bien des maux… et des mots.

Tilou

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deux citations très populaires de personnages politiques ayitiens:

– «Le pays va de bime en bime jusqu’ à la bime (abîme) finale»
– «Il faut commencer à planter du maïs moulu»


Histoire(s) d’Ayiti

Les histoires en Ayiti, ça ne manque pas. Certaines sont à mourir de rire, d’autres plus ou moins crédibles. Certaines autres sont crues, d’autres pas; alors qu’il en existe aussi qui mériteraient bien une meilleure diffusion.

Les plus fantastiques sont celles racontant les exploits de lougawou ou de zombies : Un cochon faisant du vélo, un bœuf avec une dent en or,… Des phénomènes encore jamais observés mais portés par toute une population. Plus de 8 millions de témoins de scènes auxquelles ils n’ont jamais assisté.

À côtés des histoires, vit aussi L’Histoire d’Ayiti. Celle que l’on apprend à l’école: Toussaint Louverture, l’Indépendance, le Général Dessalines, Christophe, Faustin Soulouque, Nord Alexis, etc.

Mais contrairement aux histoires de lougawou, très peu de gens font crédit aux textes des manuels scolaires. Certainement, au début du primaire, quand on commence à rabacher les leçons sans trop se poser de question, on y croit un peu. Mais  à l’heure d’étudier la fameuse histoire de François Capois ou la mort de l’empereur, se dessine un petit sourire au coin de nos bouches…et le mystère se lève sur le dicton populaire « ki moun ki konn ki mò ki tuye l’Ampereu »*.

Ce serait bien quand même qu’une version sérieuse de notre passé soit officialisée. Ça éviterait qu’une personne s’en désintéresse au point, une fois devenue ministre, de souhaiter au peuple un joyeux anniversaire le jour de la commémoration de l’assassinat du père de la nation.

Évidemment, comme partout ailleurs, survit aussi la petite histoire. Ou plutôt, LES petites histoires.
Le bruit court que Pétion, général de l’armée, aurait empoisonné l’empereur Dessalines chez lui, dans une maison à Port-au-Prince. L’histoire de Dessalines avouant que les gens prendraient les armes contre lui pour ce qu’il aurait fait dans le sud ne serait que pure invention d’historiens mulâtres pour atténuer le crime de Pétion.

La petite histoire raconte aussi que Jacques Gracia, serviteur de François Duvalier, aurait été l’homme le plus débile de l’univers. Que le président Aristide aurait fait pilonner un nourrisson pour garder le pouvoir.

Mais la petite histoire mêle tellement de fictions grotesques à la pure vérité que l’on finit par ne plus s’y retrouver. Certains y croient, d’autres non. Personnellement, je crois à certaines, pas à toutes.

Il y a également l’Histoire d’Ayiti dont personne ne se souvient ou, de toute façon, dont peu de gens font cas. Celle que nous vivons en boucle depuis quelques temps.  L’histoire qui explique qu’un président narcissique ne peut travailler qu’à sa perte. Qu’un gouvernement qui paye pour simuler sa popularité ne se préoccupe pas du sort de son peuple. Qu’un peuple qui vote seulement par émotion n’est pas un peuple mature…cette histoire nous est contée chaque jour. Mieux, nous la vivons en permanence. Mais on dirait que personne ne s’en souvient aux moments des choix, fonçant têtes baissées dans les mêmes murs que les prédécesseurs.

Sommeille aussi une histoire qu’on ne nous dit pas. La vraie belle histoire du pays. Celle qui pourrait changer l’image que nos jeunes ont de la nation. Celle qui démentit que l’Ayitien n’a jamais rien foutu depuis l’indépendance. Celle qui raconte que le Français est parlé à l’ONU grâce à nous, seule nation indépendante parlant cette langue lors de la formation de l’organisation. Celle qui dit que nous sommes le premier pays de la région à prendre des mesures pour l’environnement. Celle qui parle de tous ces grands artistes nous ayant visités, non pas pour manifester leur solidarité envers nos tourments, mais excités d’évoluer au Rex Théâtre, au Ciné Triomphe, etc.

Évidemment, à part chasser le sentiment de fatalité, cette histoire pointe du doigt nos dirigeants contemporains qui sont responsables de cette incomparable chute que nous connaissons. Elle dit pourtant la vérité et enlève toute crédibilité à qui prétexte que le pays n’a jamais été un état. On comprend donc que pour des hommes et femmes qui cachent leurs échecs par des périphrases comme « 200 ans de gabegies », parler de la belle histoire n’est pas une priorité. Il faudrait en plus qu’ils en soient capables. Et côté compétence ces derniers temps, c’est une toute autre histoire.

* « Qui sait vraiment qui a tué l’Empereur? »


«Parce que je suis une fille»

Cette semaine, j’ai encore été pris de court par les Zorganisations*. La Zorganisation Mère a lancée le 11 octobre dernier la première journée internationale de la fille. Et oui ! La journée de la femme et celle contre la violence faite aux femmes ne suffisaient pas. Il fallait impérativement en trouver une particulièrement pour les filles. En Ayiti, le thème officiel dit: «Parce que je suis une fille». C’est les féministes qui vont être en joie !Bon, n’ayant pas l’esprit trop vif, je me suis posé une question essentielle: Qu’est-ce qu’une fille?

Evidemment ce n’est pas simplement un humain femelle, puisque toutes sont déjà à l’honneur le 8 mars. Alors, comme d’habitude le mot « Femme » est utilisé quand on parle de mariage, j’ai supposé qu’une fille serait une humaine célibataire!?

À moins que ça n’ait un rapport avec le sexe!? Ça concernerait donc toute humaine n’ayant pas encore copulé. Ne dit-on pas d’une vieille qui n’aurait jamais fait l’amour que c’est une « vieille fille »?

Et là, ça tiendrait bien la route. Les jeunes filles vierges étant en voie de disparition, ce serait tout à fait normal que l’on se penche sur leur survie. Comme c’est le cas d’ailleurs de toute espèce menacée.

Bon, ça fera quand même bizarre d’aller souhaiter Bonne journée des filles à madame Carmen, ma voisine de 82 ans, mais soit on est fille soit on ne l’est pas, je pense.

Le problème, c’est que dans toutes les interventions officielles, il était surtout question de la scolarisation, au mariage forcé et à la domestication des filles. Hmm… Je doute fort que madame Carmen soit donc concernée.

Pour éviter toutes ces confusions, je conseillerais au décideur de trouver plusieurs jours et de bien différencier les prétextes mis à l’honneur. On aurait alors une journée internationale des bébés femelles, une autre des fillettes, une autre encore des adolescentes. Pendant qu’on y est, ajoutons aussi une journée des postulantes aux universités, une des femmes au travail, une des femmes chômeuses, une des femmes mariées, une des divorcées et, explicitement, une des vielles filles.

Ca ne serait pas de l’excès, croyez-moi, car chacune de ses catégories vivent des réalités différentes des autres et bien parce qu’elles sont de sexe féminin.

Mais, un peu de patience suffira. Les Zorganisations ont dû penser ça bien avant moi.

Par contre, je leur suggèrerais de ne pas oublier la mère de deux enfants, l’un de chaque sexe. Ça ne doit pas être facile pour elle d’être sermonnée pour avoir choisi de scolariser son garçon au lieu de sa fille parce que, faute de moyen, un seul pouvait l’être à la fois. N’est-ce pas un peu cynique que de lui imposer un choix plutôt que l’autre? Cette pauvre mère aurait certainement préférée que tout cet argent mobilisé pour accoucher cette histoire de « Parce que je suis une fille » serve à subventionner justement la scolarisation de sa fille.

Mais bon, on ne va pas tout leur demander non plus. Déjà qu’elles offrent aux féministes une énième opportunité pour soutirer de l’argent aux bailleurs de fonds…

Et en plus, moi, en quoi ça me regarde cette histoire, « puisque je ne suis pas une fille » ?

* Zorganisation : Organisation internationale ne servant les intérêts que des grandes nations