Tilou

Sérieuses Comédies

Décidément, le bon sens et la politique ayitienne, ça fait au moins deux. Et comme pour annihiler tout soupçon de doute, depuis le report sine die du 2e tour des présidentielles, nos acteurs politiques affichent une forme rarement égalée. (Acteurs !? quel mot bien trouvé hein !?)

Le dernier président du Conseil électoral provisoire fut le premier à s’illustrer. Prévenant, dans un premier temps, ne pouvoir respecter l’échéance du 7 février si les élections se tenaient le 17 janvier, il s’accommoda volontiers du 24 janvier, en garantissant qu’avec une semaine en moins, le temps largement suffisait. Nous connaissons la suite, les élections n’eurent pas lieu. Elles furent reportées sine die à cause des manifestations violentes et des casses organisées par le secteur…démocratique.

Non, mais…Sérieux ! Vous ne trouvez pas ça comique ?

Ainsi sommes-nous donc rendus au 7 février sans pouvoir remplacer légalement le président de la République.

Evidemment, des idées géniales, nous avons à revendre. Quoi de mieux pour sauvegarder la démocratie que de permettre à un parlementaire de rédiger, proposer et signer un accord permettant inconstitutionnellement au parlement d’élire président un…parlementaire. Et devinez qui : Lui-même ! Véritable leçon démocratique.

Mais ce n’est pas tout. L’accord lui-même est aussi une perle. Il est prévu un mandat de 120 jours pour installer un président avant 90 jours. Génial ! (Pardon ? Vous cherchez à comprendre ? Bon, moi, je continue.)

Comme on devait s’y attendre, 3 semaines après, le nouveau gouvernement se fait attendre. Le choix du premier ministre est fait, mais à entendre les qualités qui lui sont attribuées, je me demande encore si nous ne prenons pas trop au sérieux nos rôles de comiques.

L’homme serait un technicien compétent et qualifié en économie. Une vidéo dans laquelle il expose les particularités du pays, atteste de sa maîtrise et de sa compréhension de notre économie. Bravo ! C’est bien ! Compliments !

Évidemment, la logique serait plutôt d’utiliser de telles compétences dans un gouvernement légitime, un poste stable capable de décisions inscrites dans la durée. Mais ce serait moins créatif. Nous, nous excellons dans l’original. Encore un gladiateur qui se fera dévoré dans notre arène politique. Un autre fils dont la nation ne saura pas profité des qualités. Un autre charcutier à qui l’on exige de travailler du tissu.

Exige !? Bon, faudrait aussi se poser des questions quant à la motivation d’une telle compétence à s’engager dans une pareille aventure. Pour éviter tout mauvais procès d’intention, nous nous contenterons de croire puérilement que seul l’amour du pays rend aveugle.

Mais quel dommage qu’il s’agisse de l’avenir compromis d’un pays, du sort d’une population abandonnée à une misère bien réelle. Sinon plutôt que de la frustration et des pleurs, cette situation aurait apporté de la distraction et des larmes de fous rires.

Tilou


Ayiti élections : En avant vers nulle part!

Un conducteur qui perd son chemin, c’est un fait tout à fait banal. Vous conviendrez que ça peut arriver à tout le monde. Par contre, celui-là qui, promettant d’arriver à bon port, s’entête à avancer vers un cul-de-sac en sachant pertinemment rentrer dans une impasse mérite notre attention. (C’est même un cas d’étude 😉 )

Ne vous empressez pas de sourire d’une énième invention de mon esprit imaginatif 😉 Tournez plutôt le regard vers l’attitude de notre actuel CEP.

Depuis l’installation des membres, bon nombre de gens se disaient méfiants quant à la capacité de ce Conseil à conduire de bonnes élections. Après le premier tour des présidentielles, certains déclarèrent en avoir la preuve.

J’avoue n’avoir pas vraiment accordé de l’importance à ces détracteurs qui, pour la plupart, voient des complots même quand il fait chaud. Déjà que les dénonciations étaient remplies d’incohérences et de contradictions…Comment peut-on prétendre détenir des procès-verbaux attestant de sa victoire et dénoncer en même temps des substitutions d’urnes?

Et puis, il y avait surtout l’extrême assurance (certains disent même l’arrogance) qu’affichait le Conseil électoral.

Alors, pour moi, si des irrégularités (et des grosses que j’ai peu constatées) avaient bien souillé les joutes, les responsables n’avaient péché qu’en sélectionnant des membres de bureaux incapables d’exécuter leur travail. Le conducteur conduisait mal, gardait difficilement sa voie, mais on avançait tant bien que mal vers la destination finale. Il fallait certes identifier et dénoncer les impairs, mais simplement en vue d’améliorer les prochaines étapes. S’en prendre aux personnes des membres du Conseil était un brin exagéré.

ÉLECTIONS OCTOBRE 2015 - RÉSULTATS DÉFINITIFS -  PRÉSIDENT 1er TOUR
ÉLECTIONS OCTOBRE 2015 – RÉSULTATS DÉFINITIFS – PRÉSIDENT 1er TOUR

Cependant, avec l’épisode des contestations au BCEN*, l’attitude du conducteur interpelle.

Après que des passagers, prétendant que la voie empruntée ne mène nulle part, eurent interrogé une carte de la ville, le conducteur reconnut qu’il se dirigeait vers un cul-de-sac. Mais, avec une troublante confiance, prétendit qu’il fallait continuer.

Comment peut-t-on être confiant dans la suite d’un processus quand tous les tests font état d’anomalies ? Des procès-verbaux examinés en contestation, TOUS ont montré des fraudes ou des irrégularités au point d’être écartés. Et malgré cela, Le CEP choisit de continuer le processus sans même vérifier l’étendu du mal.

Campagnelancee

Bon, le prétexte l’argument est que le décret électoral, cadre légal de référence des élections, ne prévoit pas de commission de vérification des procès-verbaux. 🙂 Ah oui ? Là, notre chauffard conducteur a choisi d’ignorer les indications de la carte simplement parce que ce n’était pas prévu.

« La loi est faite pour l’homme, et non l’homme pour la loi. »

Je conçois bien qu’il faut respecter la loi, mais là, franchement, c’est à mourir de rire, non ? Toutes les parties contestent les résultats. Même le candidat en première position remet les chiffres en question. Alors, Légale ou pas, une vérification saurait-elle être illicite ? Ne serait-ce pas un minimum ?

Eh bien, pas selon le CEP. « ¡Adelante!** » dit-il. Le cap est mis sur un second tour de plus en plus hypothétique et qui, vraisemblablement, ne peut mener nulle part.

En y pensant l’autre jour, je m’inquiétais sur le taux de participation qui risque de baisser encore. Mais je me dis aussi que le conducteur, peut-être, sait ce qu’il fait : Si les protestataires ont raison, les électeurs ne sont plus indispensables. 😉

Par contre, cela serait encore plus préoccupant.

Tilou

*Bureau de Contestation Electoral National
 ** En avant!


Ayiti – législatives : cheeeeeze

Ceux qui ne croyaient plus en notre capacité à étonner le monde ont dû être décontenancés par le déroulement du premier tour des législatives. Alors que la veille, beaucoup d’entre nous étaient encore sceptiques quant à la tenue de ces joutes, c’est une véritable leçon de démocratie que notre petit pays a offerte à la planète entière ce dimanche 9 août 2015.

Ben oui, nous avons réussi le tour de force de réaliser des élections qui satisfont TOUT LE MONDE.

D’abord (à tout seigneur, tout honneur) le blan* a souri :

Transparence, participation, tout cela ne pouvait qu’être secondaire, quand la priorité était de sauver un investissement consenti à contrecœur. Quand le matériel est produit au bout du monde et à coups de millions, le gaspiller serait catastrophique. L’important pour les bailleurs de boucler la journée, ce qui a été fait.

Evidemment, certaines instances internationales, jamais satisfaites, viendront dénoncer des irrégularités, mais ça ne compte pas vraiment. Une fois qu’un des blan* se dit satisfait, l’affaire est dans la poche. (blan an di l bon…) Le CEP s’en est réjoui et a souri.

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bureau de vote – (c) lemonde.fr

Les électeurs aussi ont souri :

La plupart de ceux s’étant rendus aux urnes peuvent témoigner de la «parfaite» organisation mise en place par le CEP (bagay move):

Pas de longues files d’attente, contrairement aux journées électorales habituelles. Cette fois, tout avait été préparé pour que le moins de gens possibles se rendent aux urnes : Temps de campagne trop court, très peu de discours sur les programmes et projets des candidats, incertitude sur la tenue réelle des élections le jour indiqué (le Conseil électoral avouant même comment cette journée électorale, si importante, aurait pu être compromise par UN SEUL employé détenant TOUS les mandats destinés aux partis politiques)… Du coup, les bureaux n’étaient encombrés que des mandataires de candidats. Conséquence: seulement 15 minutes pour voter; et l’électeur, se réjouissant d’être presqu’un héros, ira fièrement montrer son doigt encré.

Les brigands aussi ont souri : la consigne de la direction de la police avait été claire. Aucune tolérance ne sera manifestée en direction des fauteurs de troubles. Les policiers sur le terrain avaient pour ordre d’observer… sans brutalité. C’est ainsi que des inconnus et même des candidats ont pu circuler, défiler et régner en maîtres dans certains bureaux de vote. Ils ont évidemment profité pour remplir quelques urnes. Bon, ça peut sembler un peu louche, mais en même temps, vu que tout le monde restait chez soi (certains parlent de 3 % à 5 % de participation), il fallait que quelqu’un fasse quelque chose pour augmenter le taux de participation… dans les procès-verbaux, tout au moins.

Le Commandement de la Police a souri et applaudi le comportement exemplaire de ses policiers.

Ces actions ont aussi fait sourire les candidats. C’est une opportunité qui leur est offerte à tous. De tous bords, ils se réclament chacun comme grand vainqueur légitime depuis le premier tour ; soit parce que les procès-verbaux en leur possession l’attestent, soit parce qu’ils l’attesteraient s’il n’y avait eu remplissage d’urnes par un concurrent.

Et tout ceci a finalement fait également naître un sourire sur le visage de ceux n’ayant pas fait le déplacement, les confortant dans leur foi en la démission.

Résultat: Le blan*, le CEP, les électeurs, les brigands, la Police, les candidats et même les abstentionnistes, tous : Ceux qui voulaient des élections, ceux qui n’en voulaient pas…chacun a un motif pour crier victoire.

…et donc tout le monde, satisfait, sourit pitoyablement aux caméras du reste du globe.

Tilou

*Term péjoratif créole pour l'étranger considéré comme supérieur.
Photo à la une : i.huffpost.com / dreamstime.com