Démagocratie : acte 4 scène 1
Nous n’avons plus de salle de cinéma en Ayiti. Depuis la fermeture définitive du ciné Impérial, il n’existe plus de lieu dédié exclusivement ou spécialement à la projection de films cinématographiques.
Certes, pour certaines occasions, des espaces sont aménagés pour une « Grande première »; et dans les faits, d’autres villes ont gardé leur « ciné ».
Mais dans tout le pays, en attendant la réouverture du ciné Triomphe restauré, aucune salle de cinéma du pays n’est vraiment digne de ce nom.
Qu’importe, ici, les comédiens ne chôment pas.
Avec la plus grande représentation théâtrale possible, notre année 2015 s’annonce palpitante. Douze mois d’un concours qui opposera les meilleurs comédiens d’Ayiti. Peut-être même de la planète.
De ce mois de mars, jusqu’au mois de février de l’année prochaine, défileront sur nos petits écrans et les ondes de la bande FM les concurrents au plus prestigieux concours de comédie. La règle est très simple. Plus on est ridicule, plus on est méritant. Chaque concurrent devra convaincre de ses aptitudes à jouer au ridicule. Et ça s’annonce relevé hein ! Certains ont de vrais arguments ! La liste des admis au casting à peine publiée que les performances nous laissent déjà pantois.
D’abord, les acteurs de renom. On ne les présente plus. Toujours sur scène. Ils ont passé les quatre dernières années à dénoncer l’organisation du concours; la qualifiant carrément (peut-être judicieusement) de mascarade; assurant que les juges ne sont que des petits voleurs. Mais ils viennent quand même y prendre part.
Ensuite, les intermittents. Ils ont fait silence un bout de temps. On les avait même presque oubliés. Certains d’entre eux sont nostalgiques de précédents rôles importants du film. Ils n’avaient rien foutu. Mais jurent que c’est de la faute à leurs successeurs (allez comprendre !) Ils ne sont pas certains de gagner, mais sait-on jamais ? Alors, ils tentent leur chance.
Aussi, les nouveaux. Ceux qu’on n’attendait pas. Les révélations de l’année. Leur seul atout est d’être nouveau dans la danse. Mais ils ne se sous-estiment nullement. Dans le ridicule, ils peuvent être très talentueux. Comme celui-là qui subitement se fait photographier à embrasser les marchandes et à s’asseoir à même le sol en compagnie des sans-abri.
Il y aura peut-être également des représentants de la diaspora qui croient mordicus qu’être ou avoir été expatriés est une garantie d’un talent de gestionnaire. Certains ayant échoué à garder en vie une station de télévision ou à empêcher que la corruption s’installe chez eux prétendront avoir la solution à tout problème.
Enfin, les gagnants de la précédente édition feront tout pour conserver leur titre, se résolvant à innover en arithmétique lorsque la rhétorique leur fera défaut.
Mais plus intéressants encore, c’est que les juges eux-mêmes concourent aussi. Ah oui! Quand on les verra, l’air sérieux et le plus convaincus du monde, prétendre que le calendrier et la fiabilité des résultats dépendent d’eux-mêmes, il y a de quoi saluer la performance.
Et Graham Green qui parlait déjà de comédiens en 1966. Si seulement il avait pu assister à cette mise en scène!
Quant au clou du spectacle!? Un chef-d’œuvre, carrément. Non mais…QUELLE CHUTE !!!,
Comme pour parodier Tonton Nwèl qui distribue des cadeaux aux enfants les plus sages, c’est l’Oncle, qui profitera de la Noël pour récompenser le plus docile des concurrents !
Dire que certains croient mort le cinéma ayitien…
Tilou
Commentaires